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mardi 19 mars 2013

La page égarée

Je ne connais pas cet homme

 
Trouver des mots à l'échelle du vent
Trouver des mots qui pratiquent des brèches
Dans le sommeil comme un soleil levant
Des mots qui soient à nos soifs une eau fraîche
 
Trouver des mots forts comme la folie
Trouver des mots couleur de tout les jours
Trouver des mots que personne n'oublie
Feux pour l'aveugle et tonnerres au sourd
 
Pour ne pas lire aux lèvres qui parlaient
A quelle nuit nos yeux se condamnèrent
Quand les martyrs criaient par chaque plaie
Le violon terrible de leurs nerfs
 
Pendant ce temps qu'avez-vous inventé
Vous fredonniez vos anciennes caroles
Des mots sans suite et doux d'être chantés
Sur les tombeaux dansent les flammeroles
 
Dans quel silence infiniment tomba
Ce lourd remords de garder le silence
Et votre coeur fut le volet qui bat
Dans l'insomnie un mur de faux-semblance
 
Coeur ou caillou puisqu'un jour nous dirons
De l'Homme Je ne connais pas cet homme
Nous porterons la rougeur à nos fronts
D'avoir trahi ce que nous-mêmes sommes
 
C'était avant que le sang ne séchât
Portant sa croix et souffrant son calvaire
Que j'ai nommé Jésus sous les crachats
Avec des mots comme des yeux ouverts
 
Avec des mots à l'échelle du vent
Avec des mots où notre amour se fonde
Avec des mots comme un soleil levant
Avec des mots simples comme le monde
 
Louis Aragon

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